Conférence
de presse du jeudi 9 mars 2006
Mesdames, Messieurs,
Nous vous
remercions d’avoir répondu à notre invitation : cette conférence de
presse est organisée par les
signataires de l’appel « Apprentissage de la lecture - Assez de
polémiques, des réponses
sérieuses ! »
l’AGIEM (Association Générale des Institutrices et instituteurs en Ecole
Maternelle Publique), AIRDF (Association Internationale pour la recherche en
didactique du français), CRAP – Cahiers Pédagogiques, ICEM (Institut Coopératif
de l’Ecole Moderne), FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves),
GFEN (Groupe Français d’Éducation Nouvelle), LIGUE de l’ ENSEIGNEMENT,
SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs et Professeurs des
Ecoles), SE-UNSA (Syndicat des Enseignants), SGEN-CFDT (Syndicat Général de
l’Education Nationale), AFEF (Association Française des Enseignants de Français) :
M. Roland Goigoux, Professeur à l’IUFM d’Auvergne, plusieurs chercheurs
professeurs des universités signataires de la pétition « Sauvons la lecture »
participeront également à cette conférence de presse, M. André Ouzoulias, M.
Philippe Meirieu est lui aussi présent. M. Joutard nous rejoindra dans quelques
minutes.
Nous avons décidé
de tenir cette conférence de presse pour faire connaître notre ferme
opposition aux différentes mesures prises par Gilles de Robien, Ministre de
l’Éducation Nationale, en matière d’apprentissage de la lecture. En tant
qu’enseignants, parents, militants pédagogiques, de l’Education populaire,
chercheurs ou formateurs, tant au plan de la méthode que des différentes
mesures nous sommes atterrés par les évolutions successives du dossier ces
dernières semaines. Rappelons quelques faits : en décembre M. De Robien
annonce lors de questions-réponses à l’Assemblée Nationale et au Sénat que
devant les résultats désastreux de l’apprentissage de la lecture en France
il a décidé de prendre une mesure qui s’impose au vu des connaissances
scientifiques actuelles : « interdire la méthode globale »
dans les écoles et imposer la méthode qui a fait la preuve de son efficacité
« la méthode syllabique » (discours de présentation de la
circulaire du 3 janvier). Devant les multiples réactions que soulèvent ces
annonces et le fait que la méthode globale n’est plus depuis bien longtemps
utilisée dans les écoles, le discours évolue et le Ministre précise que
toutes les méthodes globales ou à départ semi-global seraient proscrites.
Seuls deux manuels édités chez le même éditeur trouveraient grâce: la méthode
Boscher (éditée en 1905!) et le manuel Léo et Léa. Précisant s’appuyer
sur l’opinion des orthophonistes, sur les travaux de scientifiques, de l’Observatoire
National de la lecture ou de spécialistes de l’étude du cerveau, le Ministre
annonce la parution d’une circulaire. Celle-ci paraît le 5 janvier et prétend
en deux pages résoudre le problème de l’apprentissage de la lecture !
Dans le même temps cette circulaire fait référence aux programmes de l’école
primaire publiés en 2002. Lundi dernier le Ministère propose aux organisations
représentées au Conseil Supérieur de l’Éducation de modifier les
programmes en supprimant trois paragraphes et en rajoutant un. Dans le même
temps 40 000 enseignants continuent d’apprendre à lire dans les classes de
cours préparatoire. Environ 800 000 enfants prennent chaque jour le chemin de
l’école et découvrent sur un manuel, sur des albums de littérature ou sur
différents des textes préparés par leurs enseignants qu’un texte est
porteur d’un sens, raconte une histoire qu’ils vont progressivement appréhender
par un travail complexe qui procède par allers retours entre le dévoilement du
sens et l’appropriation du code alphabétique. La curiosité, l’étonnement,
voire l’émotion sont des moteurs dans cette activité
La situation
serait-elle catastrophique ? La
situation de l’école ne correspond pas à cette description caricaturale et
mensongère qui en est faite :
·
Toutes
les comparaisons internationales montrent que la France obtient des résultats
similaires à ceux des pays voisins européens.
·
Les
jeunes n’éprouvent pas plus de difficultés que leurs aînés, au contraire :
l’INSEE a dénombré 4% d’illettrés chez les 18-24 ans, mais 14% chez les
40-54 ans et 19% chez les 55-65 ans.
·
Le
déchiffrage n’est pas le principal problème des élèves en difficultés de
lecture : si 4% d’élèves ne savent pas déchiffrer à l’entrée en 6ème,
11% ne comprennent pas les textes qui leur sont proposés bien qu’ils sachent
déchiffrer.
Cependant, chacun s’accorde à considérer qu’il est aujourd’hui insupportable de ne pas maîtriser suffisamment l’écrit pour s’intégrer socialement et accéder à un emploi. Donc, l’école doit chercher à mieux faire réussir tous les élèves. Pour autant, il n’y a pas de recul ou de baisse du niveau, voire d’épidémie de dyslexie ! La Fédération des orthophonistes rappelle qu’aucune étude scientifique menée par des orthophonistes ne met en évidence un lien entre approche globale de la lecture et troubles de l’écrit. Un premier soutien à Gilles de Robien s’efface.
Les enseignants
apprennent, d’abord dubitatifs, qu’un débat dépassé, celui des « méthodes »
redevient d’actualité. Les programmes de 2002 ont été accueillis
favorablement : fruit d’une consultation des enseignants, des chercheurs,
des parents, des partenaires de l’école ils ont débouché sur un équilibre
établi dans le cadre du conseil national des programmes présidé par un futur
Ministre Luc Ferry. L’enseignement de la littérature est introduit au cycle
3, l’apprentissage de la lecture, ne relève pas seulement du cours préparatoire,
et vouloir ramener la réussite ou l’échec de l’élève au seul choix de la
méthode de lecture n’est pas sérieux. Le CP est un maillon essentiel dans le
processus d’apprentissage, mais le rôle de l’école maternelle qui prépare
les enfants à l’entrée dans la culture écrite (dont on sait que c’est
l’une des conditions de la réussite scolaire en particulier pour les enfants
issus des milieux populaires) et du
cycle 3 qui doit les mener à une bonne compréhension des textes sont tout
aussi importants. La méthode dite « globale »,
est écartée par les programmes de l’école élémentaire, elle
n’a pratiquement jamais été utilisée dans les écoles. La majorité
des manuels de lecture enseignent les correspondances entre les lettres et les
sons, dès les premiers jours du cours préparatoire. Les programmes rappellent
qu’« apprendre à lire, c’est
apprendre à mettre en jeu en même temps deux activités très différentes :
celle qui conduit à identifier des mots écrits, celle qui conduit à en
comprendre la signification ». Ils ne se limitent pas au seul décodage et visent, dès le début
du cycle 2, la compréhension des textes et l’accès au livre et à la culture
écrite. Les programmes de 2002 inscrivent les apprentissages du cycle 2 dans la
continuité de ceux de l’école maternelle sur le langage oral, sur les
habiletés phonologiques, sur le principe alphabétique et la familiarisation
avec la langue écrite. Ils rappellent aussi que l’apprentissage de la lecture
se poursuit au cours de l'école élémentaire et n'est pas achevé au début du
collège.
Le Ministre de
l’Éducation Nationale réduit l’apprentissage de la lecture à un
apprentissage technique, simple, où il s’agirait d’accumuler des
connaissances ponctuelles (un son plus un son plus un son) qui fait l’impasse
sur l’ensemble de ces éléments, sur la complexité et l’ensemble des
facteurs qui favorisent la réussite dans l’apprentissage. L'apprentissage de
la lecture est un enjeu majeur, pour toute la scolarité d'un enfant comme pour
sa vie d'adulte et de citoyen. Chaque enseignant, chaque parent y accorde à
juste titre une grande importance. La lecture, de la maternelle au CM2,
constitue enjeu central de l’école
primaire. Accéder à la lecture c’est rencontrer les autres et en particulier
accéder au patrimoine, c’est exercer son sens critique, c’est construire
une autonomie de pensée sans laquelle il ne peut y avoir de démocratie.
L’ensemble des
matières et des activités y concourt. Depuis toujours les enseignants y
consacrent beaucoup de leur investissement. A partir de leur expérience, de
leurs observations, des apports de la recherche ils utilisent de manière
diversifiée les différents manuels ou en mettent d’autres au point. Sans
doute est-ce un domaine où la connaissance des élèves, l’aptitude à
aiguiller l’élève, à répondre de manière judicieuse à son
questionnement, la construction de situations de lecture-écriture, le contact
avec les livres la communication avec les parents participe le plus de
l’expertise professionnelle du métier. Les enseignants dans l’exercice
quotidien de leur métier savent que l’on ne peut réduire la question de la
lecture à une seule méthode et qu’enseigner ce n’est pas exécuter des
gestes ordonnés par d’autres. Le Ministre ne consulte pas les enseignants du
premier degré, il refuse de recevoir les organisations syndicales. Il cite des
études scientifiques mais ne les communique pas aux premiers concernés. Il
faudra attendre plusieurs semaines et insister de nombreuses fois pour que le
rapport de l’Observatoire national de la lecture soit rendu public. Sans doute
parce que celui-ci déconseille la « méthode syllabique ».
Le 21 février 18
chercheurs signent un texte qui prend ses distances avec certaines affirmations
ministérielles : en affirmant qu'il est nécessaire « d'enseigner
systématiquement et précocement le déchiffrage », de manière
analytique ou synthétique, en parallèle avec les autres compétences langagières.
Ils estiment qu' il n'y a pas de raison de décréter l'état d'urgence et récusent
le retour « aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A BA de
manière répétitive et dénuée de sens »
Qui pourrait
croire que l’on peut effectuer un progrès en matière de santé publique sans
informer et sans s’appuyer sur les médecins ? C’est pourtant cette méthode
qu’emploie le Ministre. Mépris des enseignants qui sont considérés comme de
simples exécutants, mépris de
l’efficacité et aussi mépris des élèves et des parents, ballottés au grés
des caprices ministérielles. Les personnels de l’Education sont demandeurs de
formation, de communication des résultats de la recherche, ils souhaitent
adapter et faire évoluer leurs pratiques pour assurer une meilleure réussite
des élèves. Les programmes constituent une référence en matière éducative.
Leur mise en œuvre dans une classe s’effectue différemment en fonction de
l’expérience professionnelle, de
la diversité des élèves et de leurs rythmes d’acquisition sur l’ensemble
du cycle 2. C’est ce que l’on appelle le professionnalisme. Celui-ci est
remis en cause par le Ministre. D’ailleurs François Fillon comme Luc Ferry,
anciens Ministres de l’Éducation Nationale ont eux-mêmes critiqué cette
imposition de méthode. Quels sont
donc les soutiens de l’actuel Ministre de l’Éducation
Nationale ?
Nous considérons
que les principaux éléments des programmes de l’école maternelle et élémentaire
publiés en 2002 après de larges consultations conservent toute leur
pertinence. Des difficultés demeurent. Il faut les réduire. L'apprentissage
initial de la lecture peut et doit être amélioré. C’est en procédant à
des recherches rigoureuses, en renforçant la formation et l’accompagnement
des enseignants, en organisant une réelle évaluation du travail effectué dans
les classes, en prenant en compte les élèves dans leur diversité en améliorant
les conditions d'enseignement et d'apprentissage que l’école peut développer
les compétences des élèves en lecture.
C’est aussi par un effort de communication, entre l’école et les familles sur ce qui se fait réellement en classe. C'est également en soutenant et en renforçant toutes les initiatives, en lien avec l'Ecole et les familles qui favorisent le goût pour le livre et la lecture : institutions et associations culturelles, bibliothèques et médiathèques, presse et médias de qualité pour la jeunesse.
S’agit-il
d’imposer une méthode officielle ? Et demain un manuel officiel ?
Plusieurs
interventions de députés comme M. Gest, député de la Somme ou
recommandations de recteurs laissent à penser que le ministère envisage de
faire pression sur les municipalités pour effectuer le choix des manuels de
lecture. Cette attitude est
inadmissible ; au-delà de la liberté pédagogique des enseignants remise
en cause, il s’agit de faire entrer le choix des manuels et des méthodes pédagogiques
dans le champ de décisions politiques locales ? Verra-t-on bientôt le
choix de tel ou tel manuel de lecture ou de mathématiques dans le programme
d’un candidat à telle ou telle élection ?
Vous
comprendrez que nous nous sommes adressés au Ministre pour lui demander
d’organiser une évaluation scientifique du travail effectué dans les classes
concernant l’apprentissage de la lecture afin d’appréhender leur efficacité
respective. Dans l’attente des résultats de cette évaluation, nous
lui avons demandé de surseoir à
toute modification des programmes. Ce n'est pas ce qu'a décidé le Ministre et
une première réunion préparatoire au Conseil Supérieur de l'Education
a eu lieu lundi dernier . Nous l'avons
quittée après avoir effectué
cette demande.
En
quelques lignes le Ministre faisait le choix de
-
d’ignorer que les enfants ont des manières différentes d’entrer dans la
lecture
–
d’indiquer
en matière de progression d’apprentissage au CP uniquement le travail sur les
correspondances grapho-phonologiques.
–
stipuler
que tous les élèves doivent avoir acquis à la fin du cours préparatoire «
les techniques du déchiffrage et les automatismes qui permettent la lecture
autonome et l’accès au sens » ignore totalement le fonctionnement en
cycles
Il
faut croire que l'attitude que nous avons eue, comme l'ensemble des réactions
des enseignants, des formateurs, des chercheurs, des mouvements ont été
efficaces puisque le lendemain, mardi dernier, nous recevions une nouvelle
mouture du texte.
Manifestement
l’isolement et les interventions conjuguées des professionnels, des
chercheurs, des formateurs et des universitaires ont porté leurs fruits.
Celui-ci a évolué.
La
phrase précisant l'existence de deux types d'approche complémentaire: analyse
de mots entiers en plus petites unités référées à des connaissances déjà
acquises et synthèse à partir des constituants est rétablie :
·
le
rôle de la maternelle est précisé comme celui du CE1, rétablissant ainsi la
notion de cycle qu'avait exclue le projet précédent.
·
la
conjugaison du travail de lecture et d'écriture est rappelée.
Nous
serons très attentifs au discours du Ministre de ce soir. Le maintien de la
circulaire du 05 janvier, le double discours du Ministre nous invitent à rester
vigilants. Une question se pose : quelles traces laissera cette polémique que
l'on croyait dépassée ? Sans doute du trouble, du doute, de la défiance vis-à-vis
de l'école et auprès de l'opinion publique. Elle jette le doute sur la valeur
des programmes. C'est pourquoi nous avons décidé de poursuivre notre campagne
de pétitions, de réunions locales menées au plan local et départemental et
de surseoir aux modifications des programmes.